LA LA LAND : La beauté d’un rêve

 

La machine à Oscars est enclenchée. Le phénomène cinématographique de ce début d’année est sans conteste La La Land. Sur beaucoup d’éléments, La La Land est d’une beauté renversante. Plus qu’une comédie musicale, c’est un film magnifique, tant du point de vue de la photographie, du cadrage, des couleurs, de la technique et même du point de vue des acteurs, ce film est beau.

Ce n’est pas un whaou, à la sortie de la salle obscure, mais un ouf. Ouf ! Enfin un film qui fait du bien par où il passe. Un film qui remet la couleur au centre de nos vies, et qui fait de nos rêves une formidable aventure. Un film qui luit d’une énergie folle et qui écrase de sa technique et de sa joie de faire du cinéma la cérémonie des oscars qui aura lieu dimanche, et dans laquelle La La Land est nommée dans 14 catégories  faisant  jeu égal avec Titanic.

Cette bourrasque colorée nous  vient de Damien Chazelle. Imaginez-vous un truc simple. Ce mec va devenir un colosse du cinéma. 14 nominations pour La La Land ! Ce n’est que son… troisième film en tant que réalisateur… Son précédent film, Whiplash, était déjà d’une facture peu commune et avait déjà été nommé deux fois aux oscars, dont la catégorie du meilleur film. Trois films, 16 nominations aux oscars. Un monstre je vous dis.

Alors vous me direz, tout le monde sait que l’académie des oscars (en entier Academy of Motion Picture Arts and Sciences), est du genre nombriliste. Voilà un film qui rend un hommage vibrant et talentueux à un Hollywood disparu et légendaire, celui des années cinquante et des comédies musicales.  Forcément que le film est une machine à oscars, comme The Artist, qui lui, rendait hommage au Hollywood des années vingt. Alors, La La Land ne serait qu’une apothéose narcissique venant du cinéma américain ? Peut-être, mais que de brio pour parler de soi.

D’entrée de jeu, le film nous scotche au siège avec un des plans séquences les plus aboutis que j’ai pu voir depuis longtemps. Celui présent dans la scène d’ouverture de 007 Spectre est aussi une brutalité visuelle, mais purement technique, presque trop achevée, trop léchée. Ici, c’est un plan séquence caméra à l’épaule, l’objectif bascule dans tous les sens, va dans tous les sens comme l’œil humain. Plus besoin de regarder de part et d’autres de l’écran, la caméra est votre œil. Pendant 5 minutes, aucunes coupures, aucunes supercheries visibles, un travail de chorégraphie, et d’écriture de la chorégraphie incroyable et apparemment, effectivement  fait en une seule et unique prise ! Cela relève du génie… tout simplement. Les références dans cette scène d’ouverture pleuvent littéralement, a une vitesse tellement vertigineuse qu’il ne reste qu’une impression de déjà-vu général. J’ai à peine eu le temps de voir passer Marylin, incarnée par cette femme en robe jaune et dont la robe se relève grâce à une bourrasque savamment placée. Incroyable claque que ces 5 premières minutes. Aucune coupure, et on enchaîne par la présentation des deux personnages principaux. Une coupure. Déjà, en 6 minutes, Damien Chazelle remporte au moins l’oscar de la meilleure photographie.

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Fin de la scène d’ouverture de La La Land. Les couleur sont toutes très vives.

Car la photographie, la gestion de la couleur, est tel dans ce film qu’il renvoie finalement la comédie musicale à un rôle subalterne. La couleur parle, elle devient signifiante, elle est omniprésente. La lumière est gérée dans ce film à un niveau peut-être jamais atteint dans un film jusqu’à présent, tout à un sens.

Au début du film, nous suivons Mia, qui rapidement doit se rendre à une audition dans l’espoir de décrocher un rôle dans un film. A la suite d’un concours de circonstances, Mia est obligée de garder son anorak bleu lors de l’audition. Mia est en bleu, le mur situé derrière elle dans la salle d’audition est en bleu. Le message est clair. Mia est transparente, elle se fond dans la masse, elle ne ressort pas.

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Mia est contrainte de porter son anorak pendant l’audition. Elle ne ressort pas sur le fond bleu de la pièce. Quoiqu’elle fasse, elle se sent invisible.

Peu après, Mia sort avec des amies en ville. Elle part avec trois de ses colocataires, habillées de la même robe de quatre couleurs différentes, Mia est toujours en bleu. Alors qu’elle est dans un premier temps enjouée, Mia pense peu à peu au sens qu’à cette soirée, et se sent manifestement seule au milieu de cette joie forcée. Elle pénètre dans des toilettes aux murs rouges sombres, le bleu de Mia ressortant cruellement. Le message : elle se sent seule et étrangère au milieu de cette foule.

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Le fond est en rouge alors que Mia est en bleu. D’où un sentiment de solitude au milieu d’une foule habillée de couleurs chaudes.

La gestion de la lumière, sans parler de la couleur est aussi à couper le souffle. Plusieurs fois au cours du film, elle est utilisée pour souligner un aspect de la personnalité ou de l’humeur de nos deux personnages. Le premier à en bénéficier est Sebastian, le jazzman. Dans un bar miteux qui vend des tapas, tandis qu’il doit reprendre des chansons de Noël, Sebastian se laisse emporter dans sa musique. Cet isolement créatif et impulsif sous le coup de la colère est souligné par l’extinction générale de toutes les lumières du bar, et l’arrivée d’une lumière par le haut comme un projecteur. Cet isolement par la lumière souligne la solitude de l’artiste par rapport au monde qui l’entoure. Ce jeu d’isolation par la lumière intervient plusieurs fois au cours du film et notamment concernant Mia lors de son audition finale.

La La Land (2016 Film) - MovieholicHub.com

Les références sont omniprésentes, clins d’œil à la chanson et à la musique bien sûr même si je ne m’y connais pas assez en jazz pour repérer ces références. On peut toutefois citer la présence dans les personnages secondaires, de J.K Simmons, le tenancier du bar à tapas. C’est en effet la deuxième collaboration de Simmons avec Damien Chazelle. Il jouait dans Whiplash le génial mais non moins tyrannique professeur de jazz.

Dans le domaine du cinéma, les références sont visibles partout. Bien sûr, plusieurs clins d’œil, presque lourds sont fait à chantons sous la pluie de 1952 et aux parapluies de Cherbourg de 1964. Notamment le fait de tourner autour d’un poteau, d’une main, en commençant à chanter. C’est assez voyant comme clin d’œil merci. Comme clin d’œil net aux films de ces années-là, nous avons aussi le numéro de claquettes avec en arrière fond un soleil couchant sur la baie de Los Angeles. Une scène magnifique, certes, mais qui ne m’a pas laissé le souvenir le plus marquant.

Autre référence moins visible, nous avons la référence au Kid de Charlie Chaplin, que l’on voit dessiné au milieu d’une salle de cinéma sur un mur devant le bar où se produit Sebastian. Sans être exhaustif sur les références, celle qui est à mon sens la plus subtile et la plus présente est encore une fois portée par la lumière et par la couleur. L’éclairage en vert. On peut le voir à plusieurs reprises dans l’appartement où habitent Mia et Sebastian. L’éclairage de la rue qui est filtré en vert par un store, et qui baigne donc les amoureux dans une lumière mystique verdâtre. C’est pour moi une référence nette à Sueurs Froides d’Alfred Hitchcock, et une métaphore de l’amour impossible, par assimilation avec Hitchcock.

La gestion du temps de l’intrigue est bien faite même si elle n’est pas particulièrement originale. Divisée sur une année, l’histoire reprend les codes assez éculés des quatre saisons. Cependant, c’est encore dans la suggestion que Damien Chazelle est le plus fort. Lors d’une des scènes les plus marquantes du film, alors que Mia et Sebastian dansent dans l’observatoire Griffith de Los Angeles, nous les voyons danser autour d’un pendule. Cependant, ce n’est pas n’importe quel pendule. Il s’agit d’un pendule de Foucault, un dispositif expérimental destiné à prouver la rotation de la Terre. C’est une allégorie du temps, et de la révolution de la planète dans l’espace (cosmos qui a d’ailleurs droit à une très belle scène). L’intrigue dure un an, le temps joue donc contre les amoureux, tandis qu’oublieux, les amoureux dansent sur le temps qu’ils leur restent. C’est beau les métaphores non ?

Le film est volontairement placé hors du temps. Et cela est souligné par tout un ensemble de détails que viennent appuyer les couleurs et la gestion de la lumière. Avec La La Land, nous pénétrons un monde qui n’existe pas. Un monde plus vif, plus beau, plus intense que celui dans lequel nous vivons. En cela, il me rappelle beaucoup Le fabuleux destin d’Amélie Poulain. Amélie ne circule pas dans le vrai Paris, c’est un Paris hors du temps. Les pelouses du Sacré Cœur ont l’air plus verte, ainsi que les kiosques à journaux, les entrées de métro, cette intensité est même poussée jusqu’au délire lorsqu’Amélie accompagne un vieil aveugle jusqu’à l’entrée du métro. Ce monde n’existe pas, il est dans la tête d’un aveugle, ou de celui qui rêve.

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Tout comme dans La La Land, les couleurs sont renforcées et irréelles dans le Fabuleux destin d’Amélie Poulain.

Quelques éléments pourtant soulignent l’appartenance de La La Land à notre époque. C’est le cas bien sûr de la présence des smartphones et tablettes, la présence de clavier électronique, et aussi des modèles de voitures évidemment (D’ailleurs l’un des points noirs du film est ce foutu placement produit dégueulasse pour la Toyota Prius en début de film, je hais ce genre de petit détail !!)

Cette situation hors du temps est soulignée par des plans en format super huit à la toute fin du film, pour filmer des scènes de la vie quotidienne. Or ce format n’est presque plus utilisé depuis des années. Côté bobine, un autre détail nous alerte sur l’intemporalité du film. Les deux amants sont sur le point de s’embrasser pour la première fois dans un cinéma (on s’en doutait un peu), cependant un incident va les en empêcher. La bobine de projection va brûler. C’était un évènement assez fréquent du temps où les films étaient projetés encore sous forme de bobines, mais ce n’est aujourd’hui plus le cas. Certains éléments nous accrochent dans le présent, tandis que beaucoup d’autres nous accrochent dans un passé intemporel et nostalgique.

Enfin, le côté irréaliste de ce monde, qui est un monde fantasmé, est encore une fois souligné par les couleurs. Tout citadin le sait, la ville c’est avant tout cinquante nuances de gris (pour une fois que cette expression est justifiée). Nous avons le gris sombre de l’asphalte, le gris clair des murs délavés, le blanc délavé, le gris lumineux du ciel etc… Les seules traces de couleurs sont les feux rouges, les panneaux sens interdit et les enseignes de magasins. Nous sommes loin du rêve, même à L.A. Or le monde de La La Land regorge littéralement de couleur, elles sont partout ! Des couleurs vives, des murs propres et peints dans des couleurs chaudes et agréables. C’est à faire croire que Los Angeles est un havre de paix digne d’une cité de la côte d’Azur, alors que c’est une des villes les plus polluées du monde avec le plus grand nombre de voitures par habitants et des embouteillages monstre matin midi et soir. Paris ! La scène finale passe par Paris, mais dans une capitale française pour le coup totalement fantasmée. Paris est l’Eternelle ville Lumière, toujours drapée dans sa magnificence et dans son romantisme. La Seine est bleu roi, comme le ciel. La Tour Eiffel et l’Arc de Triomphe ont l’air d’être illuminés de l’intérieur. Paris la belle, et pour toujours pour ceux qui aiment le cinéma. Ah, si seulement elle se rappelait qu’elle a de beaux yeux cette ville… En vérité, le monde de La La Land, est un studio de cinéma. Tout y est beau, parfait, millimétré et agréablement disposé.

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La scène de Paris est un fantasme complet et une expression quasi impressionniste du cinéma.

La La Land est un film où les rêves prennent corps, et deviennent réalité. Il illustre à la perfection ce qu’est et ce que doit rester le cinéma, une machine à réaliser les rêves, pour en imaginer de nouveau.

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