Under the Skin : Un chef d’oeuvre glaçant

Une gifle. Voilà ce qu’est ce film. Une véritable baffe. Depuis longtemps je n’avais pas éprouvé autant d’admiration devant la plastique d’un film, devant son propos, devant la justesse de son ambiance et devant le malaise qu’il m’a mis dans le dos sous forme de vague de frissons.

Under the Skin n’est pas un film de science fiction, c’est un film sur l’inadaptation humaine, sur la souffrance de vivre sans fard avec les autres. C’est un film sur l’Alien, sur l’étranger, sur la peur de l’étranger qui est l’autre et qui est nous, qui est en nous. Et avant tout, c’est un film majeur sur la prostitution et sur le rapport d’une prostituée aux hommes, l’histoire de sa chasse, l’histoire de son handicap social, l’histoire de sa tentative de rééducation et de sa chute.

Ne vous attendez pas à avoir de grands discours, c’est bien simple, il n’y a aucune parole dans le film, aucune ligne de dialogue pendant les 13 premières minutes et doit largement battre Rocky en terme de rareté des interactions humaines.

Under the Skin traite bel et bien de la prostitution, des rapports avec les hommes, de l’aliénation qu’elle peut provoquer, des dégâts moraux et physique qui peuvent en découler. Scarlett Johannsson joue ici probablement un de ses rôles les plus intimistes, avec une justesse froide de femme fatale au sens littéral et pourtant soumise à un homme, image de son objectivation en tant que femme d’une grande beauté et pourtant soumise à des réalisateurs, des producteurs et à une image de beauté ultime qui lui colle à la peau et dont elle cherche ici à se défaire.

La peau, justement, est au coeur du film. Il commence d’ailleurs par deux scènes évocatrices, le film nous entraine dans la tête de ces femmes, contraintes par la société à enfiler une peau, chaque jour, celle de l’habit et celle du maquillage. Les habits d’ailleurs sont récupérés dans une salle blanche, la seule que nous verrons, sur une femme que je comprends être une prostituée morte, et dont le rôle est repris par Scarlett Johannsson.
Toute la première partie du film montre, dans une ambiance glaciale cette chasse au client/victime, de l’extraterrestre/prostituée. Le côté glaçant, est appuyé par une ambiance étouffante dans une camionnette, le plus souvent de nuit ou au crépuscule, accompagné d’une bande son stridente et angoissante. La méthode, toujours la même est appliquée par l’extraterrestre de manière mécanique, sans compréhension du contexte et de la sensibilité des hommes qu’elle séduit. Les hommes ici ne sont pas mauvais par essence. Ils sont pour la plupart seul, faible psychologiquement, fragile émotionnellement et en quête de confiance. La méthode, maladroite et suspecte de Scarlett Johannsson fonctionne pourtant quasiment à chaque fois, et, telle une araignée tissant sa toile, elle attrape ses proies avec une froideur glaçante et une redoutable efficacité.

L’ambiance est tellement poissarde que j’ai personnellement pensé qu’il s’agissait d’un retournement des codes du tueur de femmes en séries, sillonnant dans sa camionnette les rues d’une ville en quête de victimes. Ici le tueur serait une femme, et l’ambiance s’en dégageant rend une petite idée de la peur que doit susciter ce genre de situation pour une femme marchant seule dans la rue. Une sorte de prédation urbaine inversée. Seule la présence d’un extraterrestre « mâle » qui aurait le rôle du proxénète vient confirmer l’hypothèse d’une allégorie de la prostituée en quête de client à ramener pour son mac.

Les scènes à l’intérieur de la maison, que l’on pourrait supposer être une maison de passes sont de loin les plus esthétiquement aboutie du film. Ce noir profond, cette marée noire dans laquelle s’enfonce les hommes attirés dans la toile, ce côté pathétique des corps imparfait et nus des hommes par rapport à la perfection plastique de la salle et de la femme est absolument saisissant. Le moment le plus fort pour moi, qui suis un homme, est probablement quand l’un d’entre bascule de l’autre côté du miroir noir, et rencontre une des autres victimes de l’extraterrestre. La justesse de cette espèce de solidarité de ceux qui ne sont rien ou presque au coeur du marasme sentimental et physique. Cette main bleue se posant sur la peau qui se fend et se disloque sous la dépression du vide intérieur ne laissant plus qu’une frêle étoffe d’épiderme flottant dans un décor noir et liquide est absolument terrifiante. Il s’agit selon moi du reflet de ce que pense être ces hommes au fond d’eux même, des coquilles vides qui ne prennent leur substance que du regard d’une femme, et qui, au seuil de la jouissance s’écroule en eux-même conscient du rien qu’ils sont.

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Face à ce méthodisme froid de l’extraterrestre, le spectateur n’a alors que peu d’espoir de voir se fendre l’armure de cette beauté fatale, si hypnotique et pourtant si étrangère à l’humanité. Ce n’est que lorsqu’elle rencontre un autre être humain, inadapté lui aussi à la vie en société, un client potentiel et atteint de neurofibromatose, que l’armure, la peau qu’elle endosse se fend une première fois. Conscient de sa déformation, ce jeune homme défiguré par la maladie est le seul à remettre en cause la réalité de l’instant qu’il vit, à émettre l’hypothèse du rêve, de la fantasmagorie. Son visage déformé le rendant incapable de vivre normalement est le reflet du champ de ruine intérieur de l’extraterrestre. Du visage boursouflé et cratérisé comme un champ de bataille de ce jeune homme nait l’abîme intérieur qui va fendre la peau implacable de Scarlett Johansson dans ce film.

Après l’avoir épargné, pour la première fois, l’extraterrestre part, fuit ses congénères, sur le chemin de la réadaptation sociale, voire de la rééducation à ce niveau. Tâche rose au milieu des décors mélancoliques, elle détonne en cherchant à se réapprendre, à regarder pour la première fois un homme dans les yeux, à se regarder dans la glace pour la première fois peut-être, à chercher à apprendre des autres pour se connaitre mieux. La visite du château en ruine n’est ici que la métaphore de la visite de la prostituée en elle-même, une sorte d’état des lieux terrible ou tout est détruit et où tout est à reconstruire.

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Alors qu’elle cherche à se réapprendre, un homme l’aide, mais va finalement trop vite et en cherchant à coucher avec elle, provoque en elle une grande frayeur, le plaisir physique, consenti et accepté menaçant de fendre l’armure encore un peu plus et de révéler sa vraie nature qui ne tardera pas à apparaître.

Dans une conclusion terrible et sans merci, l’extraterrestre/prostituée est assassinée par un homme, le seul véritablement monstrueux qui cherchait à la violer et qui finalement déchire la peau de l’extraterrestre, son hymen mental, et révèle un être noir, totalement, comme les idées que doit brasser cette entité qui finit brûlée par l’un des représentants du genre masculin pourtant si aisément manipulable.

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Under the skin est une oeuvre telle qu’on voudrait en voir plus. Un film qui fouille, qui retourne le coeur, tant au niveau de la justesse du propos, si poétique et si terrible, que dans la dureté de sa conclusion. C’est un film de science-fiction, un film sur la prostitution, mais surtout sur la fragilité et la vanité de nos désirs, de nos fantasmes, qui ne saurait nous définir. Mais à bien y réfléchir, hormis ce que nous présentons aux autres comme étant nous mêmes, que sommes nous vraiment ? Mettant de côté nos vanités, nos désirs charnels, nos envies d’un soir, d’une vie, que sommes nous réellement ? Ne sommes nous pas finalement cette peau flottant dans la nuit, cette apparence de bonheur, d’assurance, ou de succès pour masquer la réalité que nous connaissons tous ? Cette vérité que nous ne sommes rien, rien d’autres que des images projetés sur une enveloppe charnelle qui finira par se friper, et alors à la fin, qu’y aura-t-il sous la peau de nos vanités ?

 

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