La foire des ténèbres: Disney en plus sombre

la_foire_des_tenebresLa foire des ténèbres est une de ces perles que le souvenir du cinéma perd trop vite. Un film sombre, très sombre alors qu’il est censé être destiné à des enfants. Un film émouvant, rarement drôle souvent touchant. Une histoire de père et de fils, un amour haine rarement porté à l’écran et encore plus rarement avec autant de justesse.

Après avoir vu Top Gun, il est souvent nécessaire de se replonger dans une forme d’innocence salvatrice et très souvent plus enrichissante que la vue d’un navet. La foire des ténèbres est un film produit par Disney datant de 1983. Il fait partie de cette période, où la firme à la souris décida de briser quelque peu son image trop enfantine et exclusivement familiale. Pour réaliser ce film, Disney fait appel à Jack Clayton, réalisateur que je ne connais pas du tout. Il a semble-t-il, réalisé une adaptation de Gatsby le magnifique. La qualité de La foire des ténèbres me rend curieux de voir à quoi ressemble cette adaptation de Gatsby.

La foire des ténèbres est clairement un film à destination de la jeunesse, mais aussi des adultes. Un film pour la jeunesse je maintiens, car je ne crois pas que la jeunesse n’aime que les films complètement niais à quoi on l’a destine. La foire des ténèbres est un film intelligent, fait pour une jeunesse intelligente, qualité qu’elle a de manière innée si on lui fait confiance.
Au niveau casting, ce n’est pas mal du tout. C’est l’un des premiers films de Jonathan Pryce, vous savez, le Grand Moineau dans la série Game of Thrones. Le film est sortie un an avant Brazil, le film qui rend Jonathan Pryce célèbre. Personnellement, je n’ai vu que la version doublée française donc je ne pourrais pas m’exprimer sur la qualité des dialogues en version originale. Toujours est-il que le titre en version originale est Something Wicked This Way Comes, que l’on peut traduire par quelque chose de mauvais vient dans cette direction. Le titre du film est par ailleurs aussi un titre de chanson du groupe de métal Lordi si ça intéresse quelqu’un.

Vu que je ne connais aucun autre film de Jack Clayton, ce qui est peut-être un grand crime je vais m’abstenir de commenter la carrière du réalisateur. Passons donc directement au niveau du scénario.

La foire des ténèbres contient son intrigue dans son titre. Il s’agit de l’histoire d’une petite ville, tranquille et sans histoire. Ravissante mais un peu ennuyeuse il faut bien le reconnaître. Dans cette ville, où il ne se passe jamais rien, nous suivons l’amitié parfois tumultueuse entre deux enfants, Jim et Will, né le même jour à quelques minutes d’intervalles. Cet écart entre les deux enfants est souvent sujet à dispute. Tous les deux ont un rapport à leur père plutôt problématique. Will a un père âgé, avec qui il ne peut jamais jouer et rarement se confier. Jim a un père aventurier et alcoolique qui n’est jamais présent à la maison. Une nuit, alors que la vie suit son cours sans entrave, une fête forraine arrive dans la ville. Rapidement, les deux enfants vont se rendre compte qu’il ne s’agit pas d’une foire comme les autres, mais que d’étranges et inquiétants phénomènes se produisent dans toute la ville et dans la foire. Voilà pour la situation initiale. Cette situation sert de socle à une réflexion qui s’étend durant tout le film sur le rapport à l’enfance, à la famille et aux rêves et désirs de chacun. La foire représente une sorte de bûcher des vanités, où les désirs inavouables et surtout irréalisables sont exaucés. Cependant, lorsque l’on accède à ces rêves de fait inatteignable, la foire prend en échange. Elle prend la raison, la vue, l’âge, la sexualité. La foire est je crois l’allégorie du pacte avec le diable, accord futile où le protagoniste du drame vend son âme pour peu de choses. Un éternel recommencement de Faust. Cet espèce de jugement de Dieu revient à intervalle plus ou moins régulier dans la ville pour punir les décadences de ses habitants. Personnellement, cela me fait penser à d’autres oeuvres du genre. Tout d’abord à Ca ou It, le clown terrorisant issu du roman de Stephen King. Sous la même apparence de bienveillance et de fête se cache le diable et la monstruosité. On peut même rapprocher deux scènes entre les deux films. Le moment dans la Foire des ténèbres, où M. Dark (quel nom classe quand même) propose des tours gratuits dans un des manèges de la foire. Le dialogue entre M. Dark et les deux enfants me fait penser au dialogue entre Ca et George “Tu veux un ballon ?, Viens, nous flottons tous en bas”. La même tentation, la même punition. C’est un thème assez récurrent en fait. Car si l’on se souvient bien , dans Pinocchio, le petit pantin de bois est aussi corrompu par une fête forraine qui fait le commerce des ânes qu’elle crée. Bref, il y a de multiples influence je crois dans ce film et qui ne sont pas franchement dégueulasse.

Mais l’une des intentions les plus louables du film est de traiter avec une justesse assez incroyable du rapport père/fils. Sur cette difficulté qui peut survenir à dialoguer, sur ce manque de confiance qui frappe plus le père qu’on ne le croit, sur la peur de vieillir des parents qui peut les pousser à ne pas assez s’occuper de leurs enfants. Sur cet amour indéfectible et pourtant si particulier entre amour/haine qui existe entre un père et son fils. Plusieurs scènes sont très touchantes, tant au niveau caméra, qu’au niveau des dialogues. Certaines répliques du père au fils et du fils au père sont très touchantes, notamment lorsque le petit Will, avec une espèce de panique dans la voix dit sobrement à son père de bien faire attention à lui. C’est très simple et très vrai. Il n’y a pas de souffle épique, ni horrifique sur ce film. Il y a simplement la caresse d’un cauchemar, et la peur de la mort et du temps qui passe.

Autre point fort du film, ce sont ses acteurs. Comme je l’ai déjà dit, il s’agit d’un des premiers films de Jonathan Pryce, avant même qu’il soit véritablement connu internationalement. Il s’agit d’un acteur que j’apprecie beaucoup. Je l’ai connu paradoxalement dans un des films où il tient un de ses plus mauvais rôles, c’est à dire, dans le James Bond : Demain ne meurt jamais. Il y joue un magnat des médias Eliott Carver qui a décidé de déclencher une guerre pour écouler des journaux. Rien que ça. Mais néanmoins il tient l’un des rôles les plus touchants dans la saga Pirates des Caraïbes où il joue avec justesse le père aimant d’Elizabeth Swann. Et enfin il excelle dans le rôle du grand moineau dans la série cultissime Game of Thrones. Dans la foire des ténèbres, Pryce joue le rôle du “patron” de la fête foraine qui s’est installé dans la ville, M. Dark. Il joue alors avec une grande justesse et avec une grande force cet homme à la fois élégant et dangereux, l’incarnation séduisante et pleine de puissance du mal sur Terre. Son dialogue avec le père de Will (non pas Turner !) est excellent, il appuie sur ce qui attire la foire. Sur ce côté démoniaque qui rôde entre les allées de la fête forraine, attiré par la débauche, et par les désespoirs des habitants de cette petite ville. Un rôle fort, que l’on prendrait plaisir à voir plus.

Autre acteur important dans la Foire des ténèbres, c’est Jason Robards qui joue le père trop âgé de Will. Disney se paye alors un acteur de grande classe mondiale dans sa pente descendante. Le nombre de film culte dans lequel joue Robards est assez impressionnant. Il était une fois dans l’Ouest, Tora Tora Tora !, Johnny s’en va-t-en guerre, Apocalypse 2024, le jour d’après (le vrai), Philadelphia, Ennemi d’Etat et étrangement USS Alabama, film réalisé par Tony Scott, réalisateur de… Top Gun. Un grand acteur donc, qui campe ici le rôle d’un père hésitant, et comme souvent chez cet acteur aux rôles aussi nombreux que variés, il excelle.

Du point de vue de la réalisation et de la qualité de l’image, il s’agit d’un film qui a vieilli, indéniablement. L’image est sombre, ce qui est assez logique pour une réalisation comme celle-ci. Le plan d’entrée avec la Lune en arrière plan et le train transportant la foire qui arrive est assez beau je dois dire. La lumière pourrait je crois, même pour l’époque être mieux gérée pour insister sur ce côté sombre. Les mouvements de caméra sont assez classiques pour la plupart, à noter toutefois un plan séquence assez beau au début du film. Il est réalisé afin de présenter la ville. La musique quant à elle ne m’a pas laissé un grand souvenir comparée aux performances d’acteurs et à l’histoire. Pas géniale mais pas mauvaise non plus.

Bien entendu, les effets spéciaux ne sont pas forcément très bon. Mais il ne faut aps oublier encore une fois qu’il s’agit d’un film datant du début des années 80. A l’époque, le premier Star Wars fait partie des films ayant les meilleurs effets spéciaux. Alors on peut pardonner à un film de seconde zone de ne pas avoir des effets spéciaux dignes de la saga galactique.

La foire des ténèbres n’est pas un grand film. Ne nous voilons pas la face. Il s’agit d’un film de moyenne envergure, à une époque où Disney cherche à se réinventer, à dévoiler et explorer des parts plus sombres de l’enfance et des rêves. Il s’agit en tout cas au départ d’une bonne intention. L’intention de donner aux enfants une intelligence plus importante que celle qu’on leur accorde en général. Car, avant tout, ce sont les adultes qui ici pactisent avec le diable pour ne pas voir leur temps passé, ni leur regrets les hanter, pas les enfants ou si peu. Un film agréable à regarder, et qui pour une fois ne laissera pas cette impression que l’on retombe en enfance parce qu’on regarde un Disney.

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